
Le deuil animal : un chagrin encore trop silencieux
Perdre un animal, c’est perdre un membre de la famille. Et pourtant, face à ce deuil si intime, beaucoup se sentent seuls, incompris, parfois même coupables d’avoir mal, comme si cette peine n’était pas légitime. Et pourtant, elle l’est, profondément. Rencontre avec Marie Blin, fondatrice de l’association Compagnons du Deuil Animal.
Selon une étude IFOP/Woopets de 2022, 85 % des propriétaires d’animaux disent avoir vécu un véritable bouleversement émotionnel après la perte de leur compagnon. Un tiers d’entre eux affirme avoir mis plusieurs mois à s’en remettre. D’autant plus que cette perte est parfois soudaine : maladie fulgurante, accident, ou choix difficile de l’euthanasie. « Le deuil animal est une douleur intime, silencieuse, souvent invisible aux yeux des autres, témoigne Marie Blin, fondatrice des Compagnons du Deuil Animal. Il nous arrache une présence qui ne parlait pas notre langue, mais qui nous comprenait mieux que bien des humains ! » Ce lien muet, unique, ancré dans le quotidien, dans les habitudes, dans la complicité, rend le vide laissé d’autant plus brutal.
Un deuil comparable à celui d’un humain
Comme tout deuil, celui d’un animal suit un processus, que la psychiatre et auteur Christophe Fauré décrit en plusieurs étapes : choc, recherche (de signes, de souvenirs), déstructuration, puis restructuration. Mais, comme le rappelle Marie Blin : « On ne “fait” pas un deuil, on le vit, jusqu’à apprivoiser l’absence. » Chacun vit ce chemin à sa manière : certains conservent les affaires de leur compagnon, gardent un peu de poils dans un bijou. D’autres écrivent des lettres, allument une bougie, ou plantent un arbre pour lui rendre hommage. Il n’y a pas de durée type, pas de norme. « Certains pleurent encore leur caniche treize ans après, d’autres reprennent un animal dans la foulée. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de vivre cette épreuve poursuit la fondatrice de l’association Compagnons du Deuil Animal. »
Un lien fort, mais peu reconnu
Ce qui rend ce deuil si particulier, c’est aussi son manque de reconnaissance sociale. « Ce deuil-là n’a pas de protocole, pas de code social, il se vit dans le creux de nos habitudes, dans l’absence palpable, du quotidien, explique Marie Blin. En France, 88 % des propriétaires considèrent leur animal comme un membre de la famille. Pourtant, les endeuillés entendent encore des phrases comme “ce n’était qu’un animal” ou “tu en reprendras un autre” ». Marie Blin observe chaque jour, au sein de son groupe de parole privé qui réunit plus de 3 000 membres, l’intensité de cette peine. « Beaucoup se mettent en arrêt maladie. Cette perte est insupportable pour eux. C’est plus qu’un compagnon : c’est un confident, un soutien, une présence inconditionnelle. »
L’euthanasie : un acte d’amour… chargé de culpabilité
La décision d’euthanasie, bien que souvent motivée par l’amour et la compassion, plonge aussi de nombreuses personnes dans la culpabilité. Même accompagnés par leur vétérinaire, certains ressentent un immense doute : ai-je pris la bonne décision ? Et lorsque l’acte médical déclenche des réactions impressionnantes – même s’il ne souffre pas – chez l’animal (spasmes, soubresauts), la douleur est redoublée par les images traumatisantes. « Les vétérinaires parlent encore trop peu en amont de ce qui peut se passer. Et pourtant, cette préparation pourrait éviter une seconde blessure, celle des regrets, de la culpabilité », souligne Marie Blin.
Accompagner, c’est d’abord écouter
Ce que demandent le plus les personnes endeuillées ? Le droit d’avoir mal. Être entendu sans jugement, entouré sans qu’on leur dise de tourner la page en une semaine ! « Accompagner, c’est ne pas juger l’intensité de la peine, c’est offrir une présence stable, un espace où les larmes peuvent couler, les souvenirs émerger, sans se presser de refermer la plaie », insiste Marie Blin. L’association « Les Compagnons du Deuil Animal » a ainsi mis en place des cercles de paroles, des rituels d’hommage mensuels avec une célébrante funéraire et travaillent avec des vétérinaires et thérapeutes du deuil pour proposer un accompagnement personnalisé. Ils organisent aussi des ateliers, accompagnent parfois jusqu’à l’euthanasie et encouragent à créer des rituels symboliques : planter un arbre, allumer une bougie, écrire, méditer. Des gestes simples, mais puissants.
Briser le silence, légitimer la douleur
Ce deuil, s’il reste tabou, mérite d’être reconnu. Pour cela, il faut oser en parler et ne pas s’isoler. « Cette douleur, elle est légitime. Et le fait de voir que d’autres personnes ressentent la même chose rassure : on comprend que c’est normal, que ce qu’on vit a du sens. »
Alors si vous traversez cette perte, ou si quelqu’un autour de vous y est confronté, rappelez-vous ce message : le chagrin est à la hauteur de l’amour. Il ne s’efface pas, mais il peut se transformer. « Nous n’avons pas remplacé nos animaux, nous avons simplement ouvert un nouveau chapitre. Le précédent reste », conclut Marie Blin.